Le voyage vers le Nord prend forme dès l’embarquement à Edmonton en Alberta, à bord d’un Boeing 737 de la compagnie Air North. À l’intérieur, le temps semble suspendu. Rien de clinquant, mais un avion solide, presque rustique, à l’image du Yukon lui-même.
À l’approche de Whitehorse, la première claque visuelle : des lacs turquoise à perte de vue, des forêts denses, des montagnes encore saupoudrées de neige. L’horizon semble sans fin.
Nous récupérons notre véhicule de location directement au comptoir de l’aéroport. Ensuite, direction le Boréale Ranch, situé à quelques encablures de Carcross.
La route entre Whitehorse et Carcross file droit, traversant des étendues où les sapins s’accrochent aux pentes et où les montagnes jouent à cache-cache avec les nuages. À une trentaine de minutes de Whitehorse, niché au creux d’un domaine boisé de seize acres, le Boréale Ranch se dévoile, discret, élégant, posé là comme une promesse de répit.
C’est ici que nous avons choisi de faire halte pour notre première nuit dans le Yukon. Pas un hôtel sans âme, pas non plus un refuge rustique. Plutôt un équilibre subtil : du bois, du verre, de l’espace, et cette modernité discrète qui ne trahit jamais l’environnement. Les lieux ont été pensés par Cameron et Sylvain Turcotte, qui ont troqué, il y a quelques années, les yourtes nomades pour ce bâtiment épuré, baigné de lumière, à la lisière des montagnes.
Nous avons opté pour une nuit en yourte, clin d’œil aux débuts du Boréale Ranch et à cette envie d’habiter le territoire autrement. À l’intérieur, tout est simple mais soigné. Dehors, l’air est frais, vif, et la lumière du soir s’attarde longtemps sur les cimes. C’est notre premier vrai contact avec le soleil de minuit, ce moment suspendu où le jour refuse de céder sa place à la nuit. C’est Marsha qui s’occupe de nous présenter l’endroit.
Manon, originaire du Gers et installée ici depuis quatre ans, nous accueille avec un sourire franc et un dîner réconfortant. Sa cuisine nous rappelle franchement la France : Quelques assiettes simples — salade fraîche, légumes rôtis, bière locale — suffisent à poser les bases d’une soirée qui sent la déconnexion et l’horizon.
Autour, la forêt s’étend sans fin, les montagnes veillent, et l’idée même de frontière semble s’effacer. Ici, on peut marcher, contempler, s’attarder au bord du feu, ou guetter le ciel dans l’espoir d’apercevoir une aurore boréale, même si la saison ne s’y prête pas encore. L’hiver apporte davantage de chance d’en apercevoir.
Au matin, premier véritable contact avec le territoire : le désert de Carcross, surnommé « le plus petit désert du monde ». En réalité, il s’agit d’anciennes dunes glaciaires, vestiges du lac glaciaire Watson. Un paysage aride, étonnant, posé au cœur des montagnes et des forêts — comme une anomalie géographique.

Impossible de manquer l’étape sur la route qui nous mène à Carcross : Emerald Lake, le lac le plus photographié du Canada. On comprend pourquoi. Les couleurs semblent irréelles : dégradés de vert émeraude, de bleu profond, d’azur laiteux, dessinés par les sédiments glaciaires déposés sur le fond du lac. Une palette presque chimérique, sous un ciel immense.

La petite ville de Carcross, elle, est posée au bord du grand lac Bennett, entourée de montagnes majestueuses. Ancienne étape de la ruée vers l’or, la ville vit toujours au rythme du White Pass & Yukon Route, la ligne de train historique qui relie encore Skagway, en Alaska, à Carcross. La gare est toujours là, patinée, comme figée dans le temps.

Balade au bord de l’eau, boutiques d’artisanat, sculptures et créations des Premières Nations Tlingit et Tagish, tout est à la fois fidèle à l’imaginaire et profondément ancré dans le présent.
À Carcross, le temps semble avancer au rythme lent des rails et du vent. Sur le pont qui enjambe l’eau calme, juste en face du pont de la voie ferrée, les pêcheurs s’installent, presque immobiles, guettant un mouvement discret à la surface.
C’est là que nous avons croisé un homme, accent québécois immédiatement reconnaissable, sourire sincère. Installé à Carcross depuis plus de vingt ans, il a laissé le Québec derrière lui, mais pas sa langue ni son plaisir de croiser d’autres francophones. Ici, les gens parlent, naturellement, sans forcer le trait. Peut-être est-ce l’effet du Nord, ou de l’espace qui laisse la place aux échanges.
Il nous a glissé quelques conseils pour la suite, des idées d’arrêts, des détours à envisager. Des paroles simples, précieuses, à l’image de ce moment suspendu au bord de l’eau.
Nous avons quitté Carcross avant l’arrivée des premiers bus remplis de croisiéristes américains venus de Skagway. Le train historique du White Pass & Yukon Route, lui aussi, n’avait pas encore fait son entrée. Peut-être avons-nous eu cette chance : celle d’arpenter Carcross dans son calme encore intact, loin du tumulte et des horaires touristiques.
Ici, le village se découvre à pied, en silence, entre la petite gare, les commerces d’artisanat, les sculptures des Premières Nations, et le miroir parfait des lacs. Un instant simple, presque confidentiel, à l’image de ces coins du monde où l’on se sent rapidement à sa place
Un premier contact avec le Yukon comme on l’espérait : brut, vaste, lumineux, et déjà un peu insaisissable.

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